
J’écris une lettre. J’écris le texte d’une chanson qui n’aura peut-être pas sa musique, d’une bande son de film noir, vide de toute lumière ou bien sur exposé comme par un flash dans une salle d’attente de l’institut des archanges.
Je cherche des mots pour un destinataire des visages rencontrés, croisés ou rêvés, depuis mille ans. Je gratte ici et là comme une poule dans sa cour pour sortir d’un coup de bec rageur un long ver élastique qui fera musique et enjolivera la chute d’une phrase que j’aimerai drôle. Que non ! rien n’y fait, le ciel s’effondre sur ma tête et s’insinue entre les tuiles jusqu’à goutter près de mes mains. Je déplace un peu mon siège, un peu méprisant à l’égard de ce toit qui tient si mal son rôle d’étanche de service.
J’écris une lettre sans soucis. J’écris pour rien, comme on crache machinalement une brindille suçotée le long d’un chemin de campagne, cueilli d’un geste sec, sans arrêter de marcher et grignoté sans hâte, en profitant de l’amertume infime qui monte au palais. J’écris une lettre ou bien un texte pour expliquer le contenu d’un pot de confiture ? Au niveau du format, j’en suis là mais si je continue je vais passer au pot de un kilo, pour collectivités. Que dire au dos d’un pot ? Décrire le dedans ? Et si l’on faisait pareil pour chacun de nous, affligé d’une étiquette sur le dos, dépeignant et précisant les avantages et les contenus de l’homme ou de la femme, ses composantes et ses complexités ?
J’imagine le tableau d’une ville où chacun pourrait lire au dos de chaque autre ces précisions capitales. Zoé serait séduite par les caractéristiques de Philibert, mais la fin de l’étiquette ne lui plairait pas, soulignant ses aspects colériques. Elle partirait d’ailleurs à son travail avec à ses basques un type gentil qui rêve depuis si longtemps d’avoir une compagne fantasque et bonne cuisinière… Ce serait sans doute vite lassant que de découvrir ainsi affichés des traits et des dimensions de la personnalité des voisins d’autobus ou de file d’attente. Et puis la fraude risquerait toujours d’apparaître et de fausser le jeu, le libre et célèbre jeu de la libre concurrence. Des publicitaires avisés conseilleraient certains pour rédiger leur étiquette et la mettre en page. D’autres s’inventeraient des caractéristiques flatteuses, au niveau de leur richesse, de leurs performances, de leurs capacités…
En ce qui me concerne, je n’hésiterai pas une seconde à afficher un jour ce texte, un autre jour cet autre, au fil de mes humeurs et de la lumière du matin.
Par exemple, il se pourrait que je devienne cet « homme jeune et charmant, délicat et sincère, sympathique et patient, prévenant et soucieux de rendre service, pondéré, aimable et souriant, d’une humeur égale et de bonne foi, ne critiquant rien ni personne, religieux et sobre, au langage châtié et aux pensés simples, sportif, hygiène de vie irréprochable, aime les animaux, le jardinage, Julio Iglésias et Luis Mariano, le fromage en faisselle et l’izarra vert, les cailloux polis, les tortues de Brenne, les Fiorettis de St François et les mémoires de De Gaulle. »,
ou encore
« taciturne et assez borné, je n’aime pas grand monde et je mords facilement si l’on m’emmerde. J’en ai rien à foutre de l’opinion d’autrui sauf si elle est bonne à mon égard et encore suivant de qui il s’agit. j’aime pas les cons, surtout en bandes organisées et à partir de trois personnes je déteste la foule. Je ne vais pas aux anniversaires de mariage, ni aux mariages eux-mêmes, pas plus qu’aux communions. J’aime les gens une fois pour toute et c’est ainsi. Pour ceux que j’aime pas c’est pas grave, je m’en fous, même si parfois il y en a qui arrivent à me faire changer d’avis à leur sujet .J.S.Bach m’emmerde en général mais si c’est avec toi j’adore.
J’aime bien le boudin aux pommes et rester au lit pour bouquiner, seul ou à deux mais là je bouquine moins. »
La servante tend l’habit de l’Enfant qui sort du bain. Il y a mille ans, un geste ordinaire resté en ocre et poussière sur un mur d’une petite chapelle (Vienne 2008)

Et parfois les reflets rendent folle la perception sans qu’un trucage quelconque soit nécessaire (Vienne 2008)

Bien sûr, j’écris là une lettre, enfin une suite de lettres qui font mots et en principe sens. Encore qu’à cette heure et avec la musique de Bregovic dans mes oreilles, je ne sais plus trop si je ne suis pas entre deux collines en train de regarder un âne brouter au milieu d’une voie ferrée un bouquet de mariée enrubanné malgré ses chardons. Et ces voix qui se heurtent et s’enroulent comme des mèches de cheveux dans le vent d’un écho dissonant d’un chœur de femmes. La grosse caisse va régler tout cela et quelques cuivres s’y mettront aussi, pour faire taire ces rudiments de mélancolie qu’une flûte et un tambour de vachers avaient pu allumer. La sarabande n’est jamais loin au détour de clochettes et de souffles amoureux. Un ruisseau : tout coule, panta rei ! Héraclite au tableau et les ânes seront bien gardés.
Décidément, ces lettres et ces mots n’arrivent pas à trouver un semblant de discipline. Seule certitude : j’écris mais sans avoir l’itinéraire bien envisagé. J’écris sans filet, sans horizon, juste dans la nuit, pour être peut-être plus près, plus loin, pas loin, tout près. Les reprises s’enflent en tons majeurs et de lourdes voix graves encadrent le cri de fête jailli de la gorge de ces femmes des balkans. L’une d’elle envole des mots inconnus vers des aigus de feu et la terre sourit ébahie de tendresse, sous cette mélodie et les canailleries des tubas surgissant sans aucun à propos.
J’écris et je parle encore de musique, de cette musique si forte et qui me fend les tripes, entre les folies de Kusturica et celles de Bregovic, aujourd’hui séparés par des disputes. Les tubas pètent, les caisses claires et les trompettes cinglent l’air, la voix d’un homme essaie de mettre à niveau l’excitante mélodie qui s’excite et ne paraît pas vouloir cesser d’accélérer. Je pense aux sirtaki et à cette transe qui traverse les os de ceux qui dansent ou qui regardent, écoutent et vibrent aussi.
C’est encore des mots et je ne sais pas ce que « setchina » veut dire en serbe. Je m’en fous un peu au fond. Moi j’écris, je ne fais pas de la traduction !
Je fais passer ces mots, car cela me fait plaisir de donner à chaud ce reflet d’un moment passé avec une musique fière et forte, avec des mots qui s’engouffrent dans ma boutique, sans prévenir. J’aime bien ces intrusions ces courants d’air matin et soir.
J’écris encore après avoir roulé dans la ville et vérifié que finalement chacun a un panneau accroché sur soi, en allures et en dégaines, en habitus corporel et en vêtures, en démarches, en détails.
Je n’avais donc rien inventé d’orwelien, simplement traduit en quelques signes sur la page ce qui existe déjà dehors, là où nous sommes prévenus d’être sages et conformes, citoyens et responsables, corrects dans la ligne qui ne varie jamais trop sur les côtés. Ce que j’aime c’est le bricolage du cheval qui va d’un coup échapper à sa trajectoire pour y revenir ensuite, sa fantaisie ou sa crainte évanouie.
Une trompe de chasse passe par le transistor allumé… des images de bête fumante et épuisée par la course imbécile, poursuivie par ces abrutis déguisés en groom d’ascenseurs ou en gardien de parking d’hôtels de Miami, au nom de la tradition. Je repense alors à ces animaux libres et méfiants, tranquilles et patients que le petit matin m’a laissé voir tout cet été à la lisière du grand bois qui descend jusqu’à la Gartempe vers La Guittière. Leur délicatesse et leur force, la tendresse de leurs déplacements en groupes, le calme de la plaine et les rumeurs de la forêt à peine réveillée. Et ces nabots lobotomisés qui se secouent du croupion entre fins de races pour traquer avec des meutes de chiens crétins et gueulards l’habitant ordinaire et somptueux de la forêt. Il y aurait sans doute d’autres manières de réguler leur nombre ! Quant aux chasseurs, leur régulation est assurée par la bibine et l’apéro. Merci monsieur RICORD de votre fidélité et de votre acharnement à réguler le cheptel largement excédentaire de ces glaireux, trognes dans le sinistre miroir que l’espèce humaine se tend à elle-même si souvent. J’ai envie de demander aux frênes ce qu’ils en pensent, à l’acacia du grand pré de commenter leur progression dans la friche, au faisan et à sa famille qui se dérobe à leur recherche hasardeuse (leurs chiens à leur contact deviennent débiles, semblerait-il) juste derrière mon tas de bois, si près de ma maison qu’ils n’osent plus y passer depuis quelques épisodes mémorables.
Instaurons les mots d’urgence pour faire la guerre, entrons en résistance contre la veulerie et la bêtise ambiante. Tout est bon. Le concours général de la niaiserie bat son plein. Faisons preuve alors de dissidence et d’insolences, touchons nous les mains et les corps, grattons le givre sur les vitres opaques, débloquons les téléphones muets, pour appeler Leila et Karim, Juan et Roselita , Tcheng ou Py, Aimé et Joyce, jusqu’à faire péter les standards de la planète. Racontons sur les ondes sans se préoccuper des forfaits que nous ne règlerons jamais, histoires et poésies, mots en toutes langues, petits haïku et grandes légendes, récits confus, missives et consignes, plaisanteries et compliments, douceurs et messages d’amoureux, câlins et insultes, grognements et tout ce qui provient de la chair et de l’humain, entre maudit et sacré !
Le Fabricauteur a enfin démasqué Spiderman ! (vienne 2008)
Visage pensif entre herbe et averse (Angles sur l’Anglin 2008)

Mais j’écris, j’écris et tout ce que je ne vois pas venir s’accumule derrière la fenêtre. Les volets sont encore ouverts et le soir sombre un peu avec moi, entre bière et fatigue, mâchoire douloureuse et silence rompu par la maison qui se remplit.
Au lieu de me répandre comme une flaque de bière gâchée, je ferai bien de m’atteler à des travaux urgents qui me tendent les bras. Mais je lambine, au gré du vent et de ces mots qui me retiennent avec leurs petits doigts. La nouvelle nuit tombe déjà et je n’ai guère avancé. Sauf à penser que quelques images aient pu sortir de ces magmas de lettres et de signes qui encombrent la terre. Balayez tous les caractères imprimés par les hommes en une heure et vous aurez un tas gigantesque d’intentions et de plaintes en sourdine, de rapports et d’assurances, de mensonges et de mots d’amours. C’est cette dernière catégorie qui me pousse encore à aligner ces mots, faux frères et vrais compagnons. Je ne leur ai pas trouvé de substituts valides. Je n’ai pas le courage d’aller battre la campagne mouillée et froide pour tenter de trouver leurs remplaçants.
Mais ce soir je le promets, je lâche ce clavier pour frotter entre elles des images sur ma table de montage, comme on frotte à l’ail des croûtons de pain bis et que l’on fourre le ventre frais du poulet avec de le mettre à rôtir.
Après quelques manipulations, je verrai si le film prend goût !
Bonne nuit aux moineaux assoupis et au chien qui répète son angoisse du soir, lorsque son maître absent ne surgit pas enfin pour le faire rentrer et laisser dans la nuit ses peurs d’animal triste : c’est le chien du voisin !
Juré promis je n’écris pas ce soir me suis-je dit et redit. Et j’avais une confiance aveugle en moi ! T’en foutrais de la confiance. A peine l’ordinateur de montage lancé que mes doigts se lançaient sur ce clavier pour ajouter quelques lignes à cet édifice bancal.
Mes mots c’est comme le lichen, il suffit que deux ou trois brins s’installent et cela se répand, en douceur mais avec obstination.
J’ai passé une après-midi en face d’une juge qui me souriait souvent, annonçant qu’elle allait dire des horreurs et que je devrai les effacer du film projeté. Fort bien. C’est curieux que des gens fassent ces débordements coquets, ces pirouettes gentilles et peu graves qu’ils font mousser sur le mode « je vais dire une horreur, attention un deux trois ….. cacaprout ! « Quelle horreur, la salle est tétanisée et cela ronfle dans les chaumières, à qui mieux mieux. Car soyons clair le débat est parfois pesant et raide mais là il n’y a que monologue avec un fossé aimablement rempli entre les deux par des travailleurs sociaux et des cadres socio éducatifs qui font leur possible. Tout le monde est si gentil que j’ai des envies de dire plus gros mots que la bluette éructée avec précaution par cette magistrate sympathique.
Les mots et mes mains m’entraînent vers des débats sérieux. Diantre fichtre et foutre ! Je me pâme ou je me meurs, que le Pt’it Jésus m’tripote mais j’ai plus envie d’aller flâner avec elle le long des cressonières des marais à Bourges ou ailleurs, vers Olivet, Sorgues, ailleurs.
Je crains l’humidité du soir mais elle tourne au liquide, carrément. L’automne est une période peu ragoûtante sous cette latitude pluvieuse.
Lactitude plumeuse, c’est pas mal non plus. L’attitude plurieuse aussi. Mais je m’égare et mes doigts ont des velléités d’autonomie. Il faut les surveiller. Parfois même ils vont à la découverte d’un ourlet, soulève un pull, se glissent sournois et tièdes, sans avoir l’air et remontent, descendent, caressent. Intenables !
Mais je n’y suis pour rien, car ils ont parfois une autonomie redoutable !
(notons là la tentative faux cul du personnage qui se dédouane à peu de frais de ses responsabilités sur des doigts qui ne lui ont rien fait, après tout.).
icônes de poils et de graisse colorée (Poitiers 2008)
Je cherche des mots pour un destinataire des visages rencontrés, croisés ou rêvés, depuis mille ans. Je gratte ici et là comme une poule dans sa cour pour sortir d’un coup de bec rageur un long ver élastique qui fera musique et enjolivera la chute d’une phrase que j’aimerai drôle. Que non ! rien n’y fait, le ciel s’effondre sur ma tête et s’insinue entre les tuiles jusqu’à goutter près de mes mains. Je déplace un peu mon siège, un peu méprisant à l’égard de ce toit qui tient si mal son rôle d’étanche de service.
J’écris une lettre sans soucis. J’écris pour rien, comme on crache machinalement une brindille suçotée le long d’un chemin de campagne, cueilli d’un geste sec, sans arrêter de marcher et grignoté sans hâte, en profitant de l’amertume infime qui monte au palais. J’écris une lettre ou bien un texte pour expliquer le contenu d’un pot de confiture ? Au niveau du format, j’en suis là mais si je continue je vais passer au pot de un kilo, pour collectivités. Que dire au dos d’un pot ? Décrire le dedans ? Et si l’on faisait pareil pour chacun de nous, affligé d’une étiquette sur le dos, dépeignant et précisant les avantages et les contenus de l’homme ou de la femme, ses composantes et ses complexités ?
J’imagine le tableau d’une ville où chacun pourrait lire au dos de chaque autre ces précisions capitales. Zoé serait séduite par les caractéristiques de Philibert, mais la fin de l’étiquette ne lui plairait pas, soulignant ses aspects colériques. Elle partirait d’ailleurs à son travail avec à ses basques un type gentil qui rêve depuis si longtemps d’avoir une compagne fantasque et bonne cuisinière… Ce serait sans doute vite lassant que de découvrir ainsi affichés des traits et des dimensions de la personnalité des voisins d’autobus ou de file d’attente. Et puis la fraude risquerait toujours d’apparaître et de fausser le jeu, le libre et célèbre jeu de la libre concurrence. Des publicitaires avisés conseilleraient certains pour rédiger leur étiquette et la mettre en page. D’autres s’inventeraient des caractéristiques flatteuses, au niveau de leur richesse, de leurs performances, de leurs capacités…
En ce qui me concerne, je n’hésiterai pas une seconde à afficher un jour ce texte, un autre jour cet autre, au fil de mes humeurs et de la lumière du matin.
Par exemple, il se pourrait que je devienne cet « homme jeune et charmant, délicat et sincère, sympathique et patient, prévenant et soucieux de rendre service, pondéré, aimable et souriant, d’une humeur égale et de bonne foi, ne critiquant rien ni personne, religieux et sobre, au langage châtié et aux pensés simples, sportif, hygiène de vie irréprochable, aime les animaux, le jardinage, Julio Iglésias et Luis Mariano, le fromage en faisselle et l’izarra vert, les cailloux polis, les tortues de Brenne, les Fiorettis de St François et les mémoires de De Gaulle. »,
ou encore
« taciturne et assez borné, je n’aime pas grand monde et je mords facilement si l’on m’emmerde. J’en ai rien à foutre de l’opinion d’autrui sauf si elle est bonne à mon égard et encore suivant de qui il s’agit. j’aime pas les cons, surtout en bandes organisées et à partir de trois personnes je déteste la foule. Je ne vais pas aux anniversaires de mariage, ni aux mariages eux-mêmes, pas plus qu’aux communions. J’aime les gens une fois pour toute et c’est ainsi. Pour ceux que j’aime pas c’est pas grave, je m’en fous, même si parfois il y en a qui arrivent à me faire changer d’avis à leur sujet .J.S.Bach m’emmerde en général mais si c’est avec toi j’adore.
J’aime bien le boudin aux pommes et rester au lit pour bouquiner, seul ou à deux mais là je bouquine moins. »
La servante tend l’habit de l’Enfant qui sort du bain. Il y a mille ans, un geste ordinaire resté en ocre et poussière sur un mur d’une petite chapelle (Vienne 2008)


Et parfois les reflets rendent folle la perception sans qu’un trucage quelconque soit nécessaire (Vienne 2008)
Bien sûr, j’écris là une lettre, enfin une suite de lettres qui font mots et en principe sens. Encore qu’à cette heure et avec la musique de Bregovic dans mes oreilles, je ne sais plus trop si je ne suis pas entre deux collines en train de regarder un âne brouter au milieu d’une voie ferrée un bouquet de mariée enrubanné malgré ses chardons. Et ces voix qui se heurtent et s’enroulent comme des mèches de cheveux dans le vent d’un écho dissonant d’un chœur de femmes. La grosse caisse va régler tout cela et quelques cuivres s’y mettront aussi, pour faire taire ces rudiments de mélancolie qu’une flûte et un tambour de vachers avaient pu allumer. La sarabande n’est jamais loin au détour de clochettes et de souffles amoureux. Un ruisseau : tout coule, panta rei ! Héraclite au tableau et les ânes seront bien gardés.
Décidément, ces lettres et ces mots n’arrivent pas à trouver un semblant de discipline. Seule certitude : j’écris mais sans avoir l’itinéraire bien envisagé. J’écris sans filet, sans horizon, juste dans la nuit, pour être peut-être plus près, plus loin, pas loin, tout près. Les reprises s’enflent en tons majeurs et de lourdes voix graves encadrent le cri de fête jailli de la gorge de ces femmes des balkans. L’une d’elle envole des mots inconnus vers des aigus de feu et la terre sourit ébahie de tendresse, sous cette mélodie et les canailleries des tubas surgissant sans aucun à propos.
J’écris et je parle encore de musique, de cette musique si forte et qui me fend les tripes, entre les folies de Kusturica et celles de Bregovic, aujourd’hui séparés par des disputes. Les tubas pètent, les caisses claires et les trompettes cinglent l’air, la voix d’un homme essaie de mettre à niveau l’excitante mélodie qui s’excite et ne paraît pas vouloir cesser d’accélérer. Je pense aux sirtaki et à cette transe qui traverse les os de ceux qui dansent ou qui regardent, écoutent et vibrent aussi.
C’est encore des mots et je ne sais pas ce que « setchina » veut dire en serbe. Je m’en fous un peu au fond. Moi j’écris, je ne fais pas de la traduction !
Je fais passer ces mots, car cela me fait plaisir de donner à chaud ce reflet d’un moment passé avec une musique fière et forte, avec des mots qui s’engouffrent dans ma boutique, sans prévenir. J’aime bien ces intrusions ces courants d’air matin et soir.
J’écris encore après avoir roulé dans la ville et vérifié que finalement chacun a un panneau accroché sur soi, en allures et en dégaines, en habitus corporel et en vêtures, en démarches, en détails.
Je n’avais donc rien inventé d’orwelien, simplement traduit en quelques signes sur la page ce qui existe déjà dehors, là où nous sommes prévenus d’être sages et conformes, citoyens et responsables, corrects dans la ligne qui ne varie jamais trop sur les côtés. Ce que j’aime c’est le bricolage du cheval qui va d’un coup échapper à sa trajectoire pour y revenir ensuite, sa fantaisie ou sa crainte évanouie.
Une trompe de chasse passe par le transistor allumé… des images de bête fumante et épuisée par la course imbécile, poursuivie par ces abrutis déguisés en groom d’ascenseurs ou en gardien de parking d’hôtels de Miami, au nom de la tradition. Je repense alors à ces animaux libres et méfiants, tranquilles et patients que le petit matin m’a laissé voir tout cet été à la lisière du grand bois qui descend jusqu’à la Gartempe vers La Guittière. Leur délicatesse et leur force, la tendresse de leurs déplacements en groupes, le calme de la plaine et les rumeurs de la forêt à peine réveillée. Et ces nabots lobotomisés qui se secouent du croupion entre fins de races pour traquer avec des meutes de chiens crétins et gueulards l’habitant ordinaire et somptueux de la forêt. Il y aurait sans doute d’autres manières de réguler leur nombre ! Quant aux chasseurs, leur régulation est assurée par la bibine et l’apéro. Merci monsieur RICORD de votre fidélité et de votre acharnement à réguler le cheptel largement excédentaire de ces glaireux, trognes dans le sinistre miroir que l’espèce humaine se tend à elle-même si souvent. J’ai envie de demander aux frênes ce qu’ils en pensent, à l’acacia du grand pré de commenter leur progression dans la friche, au faisan et à sa famille qui se dérobe à leur recherche hasardeuse (leurs chiens à leur contact deviennent débiles, semblerait-il) juste derrière mon tas de bois, si près de ma maison qu’ils n’osent plus y passer depuis quelques épisodes mémorables.
Instaurons les mots d’urgence pour faire la guerre, entrons en résistance contre la veulerie et la bêtise ambiante. Tout est bon. Le concours général de la niaiserie bat son plein. Faisons preuve alors de dissidence et d’insolences, touchons nous les mains et les corps, grattons le givre sur les vitres opaques, débloquons les téléphones muets, pour appeler Leila et Karim, Juan et Roselita , Tcheng ou Py, Aimé et Joyce, jusqu’à faire péter les standards de la planète. Racontons sur les ondes sans se préoccuper des forfaits que nous ne règlerons jamais, histoires et poésies, mots en toutes langues, petits haïku et grandes légendes, récits confus, missives et consignes, plaisanteries et compliments, douceurs et messages d’amoureux, câlins et insultes, grognements et tout ce qui provient de la chair et de l’humain, entre maudit et sacré !
Le Fabricauteur a enfin démasqué Spiderman ! (vienne 2008)
Visage pensif entre herbe et averse (Angles sur l’Anglin 2008)
Mais j’écris, j’écris et tout ce que je ne vois pas venir s’accumule derrière la fenêtre. Les volets sont encore ouverts et le soir sombre un peu avec moi, entre bière et fatigue, mâchoire douloureuse et silence rompu par la maison qui se remplit.
Au lieu de me répandre comme une flaque de bière gâchée, je ferai bien de m’atteler à des travaux urgents qui me tendent les bras. Mais je lambine, au gré du vent et de ces mots qui me retiennent avec leurs petits doigts. La nouvelle nuit tombe déjà et je n’ai guère avancé. Sauf à penser que quelques images aient pu sortir de ces magmas de lettres et de signes qui encombrent la terre. Balayez tous les caractères imprimés par les hommes en une heure et vous aurez un tas gigantesque d’intentions et de plaintes en sourdine, de rapports et d’assurances, de mensonges et de mots d’amours. C’est cette dernière catégorie qui me pousse encore à aligner ces mots, faux frères et vrais compagnons. Je ne leur ai pas trouvé de substituts valides. Je n’ai pas le courage d’aller battre la campagne mouillée et froide pour tenter de trouver leurs remplaçants.
Mais ce soir je le promets, je lâche ce clavier pour frotter entre elles des images sur ma table de montage, comme on frotte à l’ail des croûtons de pain bis et que l’on fourre le ventre frais du poulet avec de le mettre à rôtir.
Après quelques manipulations, je verrai si le film prend goût !
Bonne nuit aux moineaux assoupis et au chien qui répète son angoisse du soir, lorsque son maître absent ne surgit pas enfin pour le faire rentrer et laisser dans la nuit ses peurs d’animal triste : c’est le chien du voisin !
Juré promis je n’écris pas ce soir me suis-je dit et redit. Et j’avais une confiance aveugle en moi ! T’en foutrais de la confiance. A peine l’ordinateur de montage lancé que mes doigts se lançaient sur ce clavier pour ajouter quelques lignes à cet édifice bancal.
Mes mots c’est comme le lichen, il suffit que deux ou trois brins s’installent et cela se répand, en douceur mais avec obstination.
J’ai passé une après-midi en face d’une juge qui me souriait souvent, annonçant qu’elle allait dire des horreurs et que je devrai les effacer du film projeté. Fort bien. C’est curieux que des gens fassent ces débordements coquets, ces pirouettes gentilles et peu graves qu’ils font mousser sur le mode « je vais dire une horreur, attention un deux trois ….. cacaprout ! « Quelle horreur, la salle est tétanisée et cela ronfle dans les chaumières, à qui mieux mieux. Car soyons clair le débat est parfois pesant et raide mais là il n’y a que monologue avec un fossé aimablement rempli entre les deux par des travailleurs sociaux et des cadres socio éducatifs qui font leur possible. Tout le monde est si gentil que j’ai des envies de dire plus gros mots que la bluette éructée avec précaution par cette magistrate sympathique.
Les mots et mes mains m’entraînent vers des débats sérieux. Diantre fichtre et foutre ! Je me pâme ou je me meurs, que le Pt’it Jésus m’tripote mais j’ai plus envie d’aller flâner avec elle le long des cressonières des marais à Bourges ou ailleurs, vers Olivet, Sorgues, ailleurs.
Je crains l’humidité du soir mais elle tourne au liquide, carrément. L’automne est une période peu ragoûtante sous cette latitude pluvieuse.
Lactitude plumeuse, c’est pas mal non plus. L’attitude plurieuse aussi. Mais je m’égare et mes doigts ont des velléités d’autonomie. Il faut les surveiller. Parfois même ils vont à la découverte d’un ourlet, soulève un pull, se glissent sournois et tièdes, sans avoir l’air et remontent, descendent, caressent. Intenables !
Mais je n’y suis pour rien, car ils ont parfois une autonomie redoutable !
(notons là la tentative faux cul du personnage qui se dédouane à peu de frais de ses responsabilités sur des doigts qui ne lui ont rien fait, après tout.).