LE FABRICAUTEUR Ici habite un marchand d'histoires entre images et mots

derrière les timbres il y a des volées de secrets
J’ai appris cinquante mots nouveaux.
J’ai repris deux cent grammes.
J’ai gagné du temps pour le faire.
J’ai associé et répété mille fois mes amours, mes envies et mes rêves de broderies, de bordures, de balcons du monde.
Le type en rajoutait, racontait et alignait ses états d’âme comme on pose des lames de parquet, emboîtées l’une à l’autre.
Les gens de la rue s’agglutinaient autour de lui, juché sur sa chaise pourrie une main sur le ventre et l’autre envolée guidant et redressant le trajet des mots dans le ciel de la ville.
Qui a vu, qui a su ce qui peut se passer quand on n’écoute pas ce que le fou peut dire ?
Dites le, pensez y, croisez le fer avec les silences obstinés de ceux qui sont certains des férus du conclu, de tous ces irréfutables.
Ce type est délirant mais il est marrant.
Moi je n’en ris pas. Il me glace.
Ouvrez encore les courriers qui arrivent, regardez derrière les timbres collés, il y a de planqués des mots d’amours accessibles à tous. Décollez les timbres !
Quel pitre !
Tu viens, ne restons pas, c’est ridicule de cautionner cette éruption.
Vous avez envie de filer, de ne pas continuer à prendre mots à mots mes cailloux sur la gueule. Vous avez sans doute raison, filez donc vous remettre au tiède. Ici c’est le chaud, le bouillant des souffrances, le sang qui coule sur la peau, les cris et les rires qui se succèdent, les ventres durs, les mains crispées, les doigts tendus qui se retrouvent, les yeux crochés l’un à l’autre, regards captés, issues blindées enfin ouvertes.
Je reste, je veux savoir.
Je file. Sans résister.
Elle est partie, ils sont ailleurs, regagnés par leurs logiques logis, relogés recollés à leurs murs lisses.
Restons attachés au pourquoi de la présence de ceux et celles qui restent à m’écouter. M’entendre pas forcément, rester polis à prendre au creux des oreilles la musique des maux, le charme fou des mots, les cantates syntaxes, la sonate turbulente de mes protestations.
L’homme s’est refermé, le silence s’est fait sur ce groupe sans vie, soudain, sidéré, tout coincé, bloqués sans rien à dire.
J’ai reposé la caméra, tenté de retenir l’émiettement des passants repartis aux hasards. J’ai levé le nez de mon sac : la chaise défoncée était là, le bonhomme assis pas loin, mâchonnant un sandwich en maugréant dans une langue inconnue.
Je suis parti aussi, laissant sur le rebord de ciment à côté de lui la cassette vidéo retirée de ma caméra.
Trace, trace ta route a commenté l’homme avec un sourire triste et gentil.
J’ai abandonné mes images et repris les chemins de la ville. Un peu plus lourd, le pied léger.

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