LE FABRICAUTEUR Ici habite un marchand d'histoires entre images et mots

Le vieux conducteur et la sorcière impatiente
Fragment de peinture d’Odile DRUHEN.
Il a les gestes lents d’un animal tranquille. Vieil homme fin prêt pour une sortie dans le crachin breton, il est apparu dans l’écran de la fenêtre du motel.
Un tour, puis deux pour inspecter sa voiture, une hésitation sur la clé à choisir dans un trousseau copieux emballé dans une pochette de cuir rouge, il ouvre la porte avec précaution. Lenteur des gestes mais aussi une application précise que l’on sent soutenue par un regard vif : il inspecte.
Un chiffon apparaît dans sa main, tiré d’une sacoche que le coffre ouvert laisse entrevoir. D’un sourire affairé, le vieux se penche au chevet des vitres du coté passager et les essuie longuement. Puis il replie le chiffon et retourne vers le siège avant du conducteur en contournant la voiture, fermant au passage le coffre sans vacarme. Il tire du vide poche de la portière un flacon et un autre chiffon qu’il déplie et roule en boule pour aller vers l’arrière neutraliser peut-être une trace aperçue.
Il range tout son matériel et entreprend de secouer des pièces de tissus qui recouvrent les dossiers avant de la voiture. Le temps semble éternel, le ralenti de ses geste modifiant la course des secondes. Les plaids sont remis en place, vérifiés et alignés l’un sur l’autre, avec la tendresse de quelqu’un qui a mal partout et qui ménage son dos et ses pliures. Très content il se met à chantonner et refait un tour de sa voiture pour aller regarder si rien ne cloche. Il ouvre et ferme le coffre à trois reprises, comme pour tester le graissage des ressorts de cette portière et l’empêche à chaque fois de claquer trop fort.
Un tour de plus et il vérifie qu’il a bien fermé les portières latérales, une à une. Il sifflote un peu et regarde le ciel, pour en estimer peut-être les évolutions, entre gris pluie et sombre bourrasque. Le vent fait atterrir une feuille sur le capot et d’une démarche chaloupée il s’en va chasser l’intruse sans toucher le métal. Ne pas laisser de traces de doigts sur le brillant cent fois poli de ce capot gris.
Il repart dans une volte lente vers le coin de l’écran de la fenêtre puis réapparait presque aussitôt , chargé de deux sac et d’une petite valise verte. IL hésite longtemps avant de décider où poser ses fardeaux pour ouvrir la porte du véhicule. La clé semble se refuser et il en essaye plusieurs. Une ride d’impatience traverse son visage rose coiffé de traces grises, une chevelure ancienne sans doute.
Il pose les sacs sur le siège arrière et reste indécis avec sa valise, tournant autour de l’auto pour trouver une autre solution. Il essaye l’autre côté, puis se ravise et va ouvrir le coffre arrière. Encombré de la valise il retourne la poser sur le siège et s’occupe de la serrure avec succès. La valise est engloutie mais manifestement il y a des problèmes de blocage de l’objet dans le coffre. IL sort un carton qu’il tourne dans un autre sens et manipule longtemps des objets invisibles jusqu’à regarder d’un air satisfait son nouveau dispositif. Il repart vers la banquette arrière en chantonnant et se saisit des sacs qui vont rejoindre la valise dans le coffre.
Les plaids du siège arrière ont été froissés par la manœuvre et il les retape du plat de la min, glissant avec douceur et régularité sa main dans le pli du siège pour y coincer le tissu sans faux pli.
D’un pas il admire en se reculant son œuvre et entreprend de refermer coffre et portières, ce qui prend du temps et le fait ressembler à un danseur de tango maladroit mais ravi de tournoyer autour d’un rocher.
Une voix hors champ retentit et soudain son visage se tend. Ile st question de valise et de manteaux. IL referme à la hâte, vérifie les fermetures et s’éloigne pour rejoindre la voix. Deux minutes parès il revient, les bras couverts d’imperméables bleu marine. Il se démène pour retrouver ses clés au fond de ses poches sans risquer de poser ses vêtements pliés sur son avant bras sur la carrosserie ou de les laisser traîner au sol. La pluie commence à tomber doucement. La voix insiste et piaille sur la gauche de l’écran.
Les portes arrières sont grandes ouvertes et les manteaux bien étalés sur la plage arrière, plis sur plis.
Une femme plus jeune que lui d’au moins vingt ans arrive et réclame l’ouverture de la porte passager avant. Il fait en vitesse et au ralenti le tour de l’auto et se mélange un peu dans les clés. Elle s’impatiente et le traite d’incapable. Sitôt assise elle réclame qu’il avance le siège. Il se penche avec douleur et actionne le levier en lui demandant de l’aider d’un coup de rein. Elle rouspète encore.
Il refait le tour pour fermer les portière et va s’installer au volant. La porte se ferme avec un bruit sourd et délicat de mécanique bien entretenue. Il ne démarra pas, la femme lui parlant avec véhémence, sans que le son parvienne au travers des vitres closes. Il sort du véhicule et va ouvrir le coffre, pour en revenir avec une bouteille d’eau qu’il lui tend.
A nouveau dans la voiture il démarre enfin le moteur et le laisse tourner au ralenti, comme il l’avait fait pour la chauffer une demi-heure avant. Elle s’impatiente manifestement et il entreprend de sortir en marche arrière de l’emplacement 12 du Motel.
Après quelques manœuvres qui lui arrachent des grimaces de difficulté, il pétarade gentiment vers la sortie.
Clap de fin

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