LE FABRICAUTEUR Ici habite un marchand d'histoires entre images et mots

Violences non identifiées contre les enfants…

Les enfants sont rois, entendons nous parfois…Les adultes s’en félicitent ou bien soulignent l’excès de cette idolâtrie, évoquent le passé et sa rigueur bienfaitrice. Écartons un peu les évidences prétendues, au delà des reflets d’expressions bienséantes.

Quelle belle façade bien symétrique et propre !

Retourner les mots, les dresser en listes comme on classe des boutons, les faire résonner en cloche pour révéler les fêlures. .. On peut partir d’un début de phrase : je me souviens et décliner ses souvenirs.

Je me souviens…

De mes danses de pitre et de papa qui riait, de la chaise qui tombe et de ses cris furieux

D’un câlin tiède et de mes bras vers maman, des lunettes qui tombent, des bras qui me repoussent des mots qui me projettent contre le mur

De maman chargée de courses qui ne m’embrasse pas quand je m’approche et m’interdit la cuisine tant qu’elle n’a pas rangé

Du magasin immense un peu avant Noël, de papa qui s’ennuie et me fait des yeux gros

De mon frère Pierrot qui renverse le vase et m’accuse aussitôt lui qui peut bien parler

De la douceur du chat couché sur mes épaules et des cris de maman contre les allergies

De ces fleurs arrachées, de mon père présent, qui attend un quart d’heure et se met à hurler

De ces soirs seul au lit, ventre vide et joue froide, attendant qu’un visage casse la punition,

De ces ordres sévères aboyés par ma mère, de ses regards froncés, de ses mains qui s’agitent

De ces bouts de ficelle et ces copeaux de bois jetés à grand fracas, trésors volés, trop sales

De ces « j’ai pas le temps » et ces « fous moi la paix », de ces « je suis crevé » et ces « va te coucher », de ces « l’est pas au lit ? » à ces « toujours à jouer », de ces « tu casses tout » à ces « n’importe quoi »,

De papa qui veut ça et maman autre chose, de l’un qui me menace et l’autre me prévient

De Pierrot qui s’enfuit et me laisse petit, assumer ses bêtises et payer sans comprendre

De ce lapin très blanc que j’ai pas pu garder, du trou dans la clôture et de son poil rougi sur la route derrière et des cris de papa plus fort que tous mes pleurs jusqu’à me faire taire,

De ce mal dans l’oreille qui prend bien vite au lit et dévisse la tête se répandant partout, de maman qui revient plusieurs fois dans la nuit et finit par hurler que je pourris leur vie,

De l’oncle de papa et de ses grands secrets, de la peur de sa main qui attrape la mienne, de sa culotte ouverte, de ses cadeaux menaces, du silence terrible lorsque je dors chez eux, des sourcils de mon père si je m’accroche à lui

Des départs en colo, de papa impatient qui ne veut pas rester, de ces derniers bisous que maman a raté,

Je me souviens…

 

Des cahiers de l’école bien rangés sur la table et des doigts de mon père arrachant une page, de ces « tu es feignant », de « faut un peu s’appliquer », de ces regards pointus qui passent mon épaule, des yeux de justicier relisant deux trois phrases, premiers mots alignés avec la crampe aux doigts,

De ces « tu comprends rien » et ces « il est nullard », de « l’école … pas pour lui » « il est lent et bavard »,

De ces « il faut vouloir »

De « ce qui n’est pas juste est faux »

De ces « l’effort ou le plaisir, il faut choisir »,

De ces regards en coin à la fin du trimestre, de ces convocations du coupable dans la cuisine, pour un réquisitoire sur des notes en baisses, sans un mot des progrès ni encouragements

Des habits de Pierrot qui suffisent pour moi et des rappels à l’ordre sur le prix des chaussures

Des conversations du dimanche et des « les enfants ne parlent pas à table » des histoires de famille que je voulais comprendre, des silences têtus à mes questions idiotes

Des « ça ne te regarde pas », des « les enfants ne doivent pas parler d’argent », des « tes inscriptions au club, les équipements c’est très cher »

Du départ de Pierrot dans la ville voisine et de la maison vide seul avec mes parents, l’un qui est du matin et l’autre qui fait les nuits et moi dans le silence pour ne pas déranger

De papa qui n’a toujours pas réparé le trou de la clôture ou lapin Ésope avait fui vers la mort

De ce lapin que papa a jeté dans la benne du coin de la rue alors que je voulais l’enterrer avec des pierres et des fleurs, de maman qui m’a hurlé d’arrêter avec ces histoires débiles de cimetière pour animaux, de Pierrot qui se moquait de moi en douce

De ces draps mouillés et de la honte du matin lorsque maman éventrait mon lit avec rage et dégoût

De ces menaces lorsque un troisième rappel faisait surgir comme un diable mon père dans ma chambre noire

De mes mains tremblantes d’hésitation face à la case vide d’une grille de multiplication, sous les yeux de ma mère impatiente, trompétant comme un aigle

De mes refus ridicules de me déshabiller à la plage sans serviette et des éclats de rire de mon père « il n’y a pas grand chose à voir »

De mes dents blindées et de mes lèvres serrées pour ne rien laisser voir de ces barbelés plombés

Je me souviens…

De mes cheveux taillés de mes peurs de « poule mouillée » de « fillette » à l’idée d’entendre le crissement de l’acier d’un coiffeur près de mes oreilles

De ce surnom ridicule que tatie Justine m’avait affublé et qu’elle criait bien fort par dessus la haie de l’école

Des conciliabules secrets entre ma mère et la maitresse pour tout savoir de ma journée, la mienne pourtant

De ma chambre fouillée retournée comme un champ sous prétexte de rangement, mes trésors exposés au milieu du lit « tu vas pas garder toute ces saletés »

De ces films interrompus « tu es trop jeune et il y a école demain »

De cette peur panique de prendre seul le bus pour aller au collège en sixième et du regard méprisant de mon père me recommandant « d’être un homme…enfin », du silence apeuré de ma mère

De cette communion où je n’avais pas envie de danser ni de chanter devant la tribu

De ces vacances à Saint Malo et de cette sortie en mer, ventre retourné, vomi dans la bouche, avec des regards et des reproches plein les oreilles

De ces choix impossibles à envisager lorsque je sentais mes parents prêts à se séparer,

De l’odeur et des paroles de ma mère me tenant pendant qu’une infirmière me vaccinait pour le première fois en me traitant de « femmelette »

Des moqueries de mes cousins, de mes pleurs, lorsqu’un tampon iodé barbouillait mes genoux après une chute de vélo, la première

De ce beau dessin que j’avais soigné et qui atterrit au fond d’un tiroir avec un sonore « c’est n’importe quoi ces barbouillages ».

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