LE FABRICAUTEUR Ici habite un marchand d'histoires entre images et mots

Bout de rêve

Juste étonné, le petit bonhomme écrasait ses paumes de main sur la vitre immense et froide. De l’autre côté il apercevait des touristes harnachés d’appareils et levant le nez pour voir passer les requins dans un tube se plexiglas. Le frisson sans peine, la proximité. Un écran faisait chanter une fille brune, un peu ronde et dont l’oeil triste séduirait peut-être quelques malades cloués au lit par l’épidémie. Des gymnastes tourbillonnaient sur une scène » en arrière plan, juste à côté d’un palais présidentiel, sans doute roumain, entouré de morceaux de billets de vingt dollars

Un jeune bonze me regarde regarder et je ne sais quoi dire. Deux asiatiques très élégants se regardent et se jaugent, du haut de leur smoking, sans ciller. Les requins continuent leur ballet. Ils ne voient pas ces touristes crépitant qui les mitraillent, à quelques centimètres.

Par la baie d’un balcon, la ville est semée de petites lucioles, quelques grands immeubles très éclairés semblant la veiller. Sa géométrie est habituelle. Et en arrière, la montagne brune signe indistinctement l’horizon d’une vague souple et figée. Le ciel se pointe en mauve profond. Mes yeux sont calmes.

elle est de toutes les vagues

Le bonhomme a un rictus effaré, un calme terrible et un grand nez de bois. Un chapeau ridicule le fait ressembler à un tyrolien d’opérette. Mais il n’est pas drôle, derrière sa vitre blindée, dehors, dans la nuit des héros glacés.

Une voiture se trimbale sur une piste parsemée de buissons ras. Elle vient vers moi, de la gauche. Je vais y monter, me caler sur la banquette arrière puante et y finir de dormir ma nuit.

Le bonhomme a fermé sa bouche et coulé le long de la vitre, laissant juste une trace glissée dans la crasse. Un requin a réussi à saisir un touriste par le bras et l’emporte dans un recoin de son aquarium pour le déguster en paix. La fille triste chante encore, mais l’écran n’est pas sonorisé : on la voit jute respirer et agiter ses mains devant le visage.

Le petit bonze est prêt à bondir mais semble regarder ailleurs, les deux distingués n’ont pas bronché.

Je marche, satisfait, vers le balcon où le jour finira bien par se lever sur la rivière des lucioles qui coule tout en bas.

J’ai un billet en main, et, juste sur l’épaule, une petite fée qui me lit un bouquin. Sa voix est si nasillarde que j’envisage de la jeter au loin. Elle s’en rend compte et vient se caler dans la salière de ma clavicule pour me chuchoter des insanités à l’oreille d’une voix entre miel et plume.

Et là, je me réveille, avant de savoir où iraient ses promesses indignes.

Elle a le dessin de la lèvre supérieure unique, dissymétrique et très mobile, faisant de ses lèvres un discours permanent que je peux seul relire. Les promesses arrivent toutes là, au coin de sa bouche.

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