LE FABRICAUTEUR Ici habite un marchand d'histoires entre images et mots

Après l’enterrement, pluies et soleils (recueil)
 

Pieta de l'estuaire 2019

la foule des vies

Deux mois après le décès de ma mère. Petits morceaux épars et malicieux.

« Remettre ma vie, comme message clair et intelligible, au seul et unique individu qui, l’ayant compris, le portera plus loin. » M. KUNDERA La plaisanterie 1967

Des mois qui passent et les mots me résistent, s’enfuyant parfois de ma mémoire au temps d’écrire,lorsque je les ai prévu assemblés comme dans un puzzle flottant entre terres et brumes de l’estuaire.
Je change de registre et je les laisse filer à leur guise sous mes doigts sur un clavier qui crépite des séries de lettres que je corrigerai un peu plus tard, mes doigts n’ayant pas de suite dans les idées et prenant leurs aises avec la syntaxe, l’orthographe, quitte à créer des mots jolis, des tournures étranges comme le hasard sait les composer. L’outil a sa vie propre et je m’y range parfois.
Le correcteur automatique par contre me met en rogne et je le désactive souvent.

Ceci n'est pas une chaise

Ma mère est morte fin février, après une période de plus d’une année d’ états silencieux, entrebâillée entre vie et mort sans plus de mots à mettre sur rien.
J’avais donc depuis dix ans (décès de mon père en 2009) organisé ma vie pour n’être jamais loin, trop loin. Elle me garantissait souvent d’avoir le savoir vivre nécessaire pour ne pas mourir en mon absence et m’obliger à interrompre des vacances lointaines…. Ce trait d’humour prémonitoire n’a pas tordu le bras des hasards de la vie. J’étais parti très loin, à l’autre bout du monde, à 23 heures d’avion, dans le grand sud de la planète. J’ai dû revenir au bout de quelques jours. Et là les scènes prévues se sont enchaînées sans surprise ; les démarches, seul -car une sœur absente et l’autre dans le refus de fait de s’adresser à moi- les conventions aussi ridicules qu’indispensables pour ceux et celles qui les enfourchent avec des airs apitoyés qui rappellent plus un concours d’épagneuls au foyer municipal de Bezons qu’une démonstration massive d’empathie et de sincérité. Une partie des présents aux obsèques est là pour vérifier leur capacité de résister à l’angoisse de l’idée de la mort, une autre pour s’assurer que les autres aussi ont vieilli, une partie par convenance polie, un petit groupe se réservant une solidarité sincère et souvent assez muette, des hommages aussi discrets que touchants. Et puis il y a la famille immédiate, faite de silence en ce cas et de duplicité enduite d’un catholicisme fougueux de façade comme on enduit un vieux mur pour en masquer les fissures.
J’avais craint de me laisser aller au tir au pigeons, et de rafaler à tout de bras ; je suis resté très sage et ouvert. Rien n’est venu bien sûr et toutes les manœuvres d’évitement se sont déroulées au point que je me retrouve seul à contacter un curé pour une vague cérémonie que ma mère souhaitait ! Le curé et son assistant laïc était presque amusé de rencontrer un athée convaincu quoique bien au courant des règles de ce théâtre particulier. Je n’ai pas transigé sur la musique et les pièces baroques chantées, ainsi qu’une musique d’Arno que ma mère aimait beaucoup.
Au maximum deux heures cumulées passées à proximité de Z qui a réussi le tour de force de ne même pas rencontrer la société de pompes funèbres… »nous sommes ici réunis pour dire adieu à notre mère… »(gag!)
Les gags de situation se sont bien sûr déroulés comme prévus et ont rendu ces moments moins tristes. Ma mère aurait bien aimé, avec son goût pour l’humour vachard. Je lui raconterai en détail dans un prochain livre…
Des inconnus se sont refaits un nom et un visage, et j’ai retrouvé des liens anciens dont certains se sont retissés aussitôt avec plaisir et gravité, vue l’occasion. Il faisait beau, et le clivage familial a permis d’éviter d’avoir à faire des pirouettes polies, le club « manif pour tous » s’étant évanoui sans même me dire au revoir. Ces petits bourgeois sont aussi mal élevés qu’ils sont impolis et en rupture avec leurs propres règles de savoir vivre. Mais je m’en suis vite remis après des soins appropriés à base de raisin fermenté avec d’autres indignés.
J’ai écrit un texte pour la cérémonie un peu caviardé par une sono désastreuse. Le dieu des chrétiens mérite des baffles … plus qu’une sono de vestiaire de rugby des année cinquante ! Mais c’est un autre domaine que ce qui m’occupe là.
Perdre ses parents, comme me l’a fait remarquer finement avec humour une femme que j’ai beaucoup aimé, c’est aussi ne plus savoir où on les a mis : tu es orphelin à présent. Ce nouveau statut, je n’y avais pas pensé, habitué par les longs mois et années de fermeture puis de perte de communication de ma mère. On se fait à tout, même à la disparition de ses parents : « tu as perdu ton père, ta mère, tu ne sais plus où tu as pu les mettre, de toute façon tu perds tout tout le temps, t’avais qu’à mieux les ranger ! ».
Ma mère riait bien de cette manière de voir les choses et de les dire. Elle adorait la langue, cette d’Aristophane, celle de Camus, celle de Villon, celle de Coluche aussi, celle de certains rappeurs que je lui faisais écouter souvent.
La tombe est refermée, les fleurs sans doute fanées et vient le temps de l’attente sans échéance précisée de la succession des paperasses, des discussions des répartitions, du testament, etc.
C’est une attente différente de celle qui précède la mort de ma mère, possible il y a un an et demi comme il y a huit mois, inexorable, sans pronostic de durée . C’est ainsi.

J’ai plus de temps pour moi, n’ayant plus d’obligation de gérer ce que je pouvais encore gérer de son vivant, sans obligation d’aller la visiter, si tant est que cela avait du sens. Je viens de terminer une phase travaux manuels intenses qui m’a un peu épuisé mais également fait du bien. Après cet épisode relaté plus haut, j’avais besoin de scier, de clouer, de lisser, de bétonner, de percer d’ajuster, de polir, de cirer, de peindre, de souder, de réfléchir avec une concentration absolue à la penser d’une évacuation d’eau, bref à faire dans l’essentiel, loin des certitudes de Vittgenstein mais malgré tout. J’ai pu lire, relire la Plaisanterie de Kundera, commencer l’ordre du jour d’Eric Vuillard, terminer le Quatuor d’Alexandrie de Durell, éplucher les journaux et les sites et même écrire un petit peu. Cela étant les mèches au tungstène pour perceuses Hilti sont plus chères que les bouquins ! Lisez vous ferez des économies !
J’ai un peu trié aussi. Et remis en forme souvenirs et fragments, remonté des images de ma mémoire où des malles de souvenirs dorment au tiède, à l’abri des insectes et de la pluie.

La nave va

Texte et thème rediscutés avec ma mère il y a deux ans peut-être, avant qu’elle ne plonge dans le silence.

J’avais de la rage au ventre et des bribes de compréhension. Rien n’y faisait. Cela ne suffisait pas et je replongeais à l’occasion dans mes travers, travers de porc, jouant aux filles comme on joue aux billes, aux quilles, lancées et bousculées l’une après l’autre : la séduction toujours comme seringue et produit à la fois.
A peine posé sur des lèvres les baisers devenaient amers. La passion durait comme une étoile qui file et s’éteint, aussi forte que brève. J’en sortais aussi fier que vide, con comme tout, pluvieux en dedans. Les silences de la solitude pouvaient sonner des concertos muets, des symphonies inaudibles, j’en étais le seul spectateur, posé minable au fond d’une salle immense aux fauteuils couverts de draps rouges. Les lumières permanentes des issues de secours étaient suffisante pour contempler mes habitudes de désastres. Mais je n’applaudissait pas à la fin, je m’endormais sur des rêves simples où une main me manquait, ou un dos réclamait ma chaleur, ou des mots aussi idiots que doux nous semblaient des trésors de pirates.
Le réveil était à la hauteur des creux de la veille au soir, vaseux et ternes, sans consistance. Une vie molle et des questions qui rebondissaient sur les murs et me revenaient en pleine tête.
J’avais parfois la colère parfois la paresse de penser et toujours de petites lueurs de malice qui me tenaient debout. Par chance. Quelques mots piqués ici ou là, un échange simple avec un voisin, un regard de Margot qui ne disait pas beaucoup de mots, enveloppant ses rares commentaires de regards puissants et précieux. J’avais tenté ma chance avec elle. Elle ne m’avait même pas répondu, souriant juste et se dégageant de ma proximité trop pressante. Des mois plus tard elle m’embrassa longuement en m’expliquant qu’elle partait en Amérique du Sud et que nous ne nous verrions plus jamais mais qu’elle penserait à moi, en regardant les nuages arriver de l’ouest, sur la côte chilienne.
Elle avait laissé son vieux cahier de notes sur le bureau de sa chambre avec mon nom sur l’enveloppe et dedans la consigne expresse de ne rien publier sans son accord préalable. Elle est partie sans laisser d’adresse et je n’ai jamais divulgué ces textes étranges et d’une rugosité, d’une précision fine parfois insoutenable.
Elle parlait de la vie comme on peut résumer parfaitement des enjeux avec la tristesse triomphale de ceux qui comprennent chaque jour un peu plus les méandres de leur vie.
Elle aurait pu écrire cela, des années plus tard :
« Comme si je méritais de vivre ça. Je n’ai pas été entendue, écouté et comprise.  Alors je me suis tue, j’ai ravalé ma douleur. On m’a forcé à avaler, à me nourrir de cette douleur sans jamais pouvoir la digérer ni l’exprimer. Une oie est gavée pour grossir, j’ai été gavée pour me détruire. »
Les mots peuvent tout bousculer lorsqu’ils sont si bien agencés, alignés comme pierres magiques d’un cromlech celte révélant le ciel et les temps du soleil.

la légende des gens

Histoire récente avec des mots fournis (âge, temps, enfant)

J’avais le temps mais pas l’âge! J’étais une enfant. Et maintenant…
L’âge mais pas d’enfant! Et pas le temps d’en avoir, un enfant! Je travaille pourtant dans une Agence du temps, mise en place par le Ministère du temps libre pour organiser le temps, les temps, loisirs et vacances, temps de travail et d’occupations sociales et individuelles. Ma définition de fonction fait quatre lignes.
Cette équation burlesque est celle de ma vie. Toute gamine je répondais aux évidences des adultes par des questions et des inversions de la place des mots dans les phrases.
Je me faisais souvent gronder pour insolence. Mais j’étais jeune et je me soumettais facilement. Les adultes, certains de leur logique absolue et définitive ne s’inquiétaient pas de moi. Ma tante Jeanne passait son temps à dire à la cantonade « quelle est grande cette petite ! » Je ne connaissais as les jeux de langages mais je m’étonnais et je proposais aussitôt « qu’elle est petite cette grande ! » en imitant la voix perche de ma tante. cela me valait des remontrances que je ne comprenais pas. A dix ans comment accepter que des adultes vécus comme porteurs des perfections de la vie puissent dire des âneries de ce type ?
L’argument ultime était de m’asséner :  » tu n’as pas l’âge de te mêler des mots des adultes, tu auras le temps plus tard ». Je n’aimais pas cette rebuffade. Pas du tout.
Mon grand père souriait, effacé derrière l’autorité des femmes de son clan, si je me risquais à remettre en cause l’ordre des choses et des mots, ces mots devenant des choses efficaces et subversives.
je ne savais rien de la subversion mais je la pratiquais de fait et il était souvent mon spectateur attendri; je m’en rendis vite compte.
Lui ne se risquai pas à l’affrontement mais aimait se promener avec moi pour parler. De tout et rien et encore.
Il me racontait souvent des histoires, des espèces de fables qui venaient de je ne sais quel coin de sa tête, de son « grenier à pensées » comme il disait.
Par exemple l’âge était son cheval de bataille. Il le dissociait du temps et expliquait que pour les enfants l’âge est une mesure du monde, de l’univers et de la vie. Il excluait que te temps soit d’une importance première et qu’il se passe sans accroc ni rebours. Il me parlait de ces philosophes grecs qui se disputaient pour affirmer que le temps était un fleuve qui coule ou autrement un univers caché, une représentation théâtrale permanente. C’était confus et peu compréhensible pour une gamine de mon temps mais avec l’âge j’ai repensé à cet Héraclite dont il parlait et qui contemplait les fleuves couler vers la mer.
Héraclite se trompait sans le savoir. Car à Macau, la Garonne coule dans les deux sens, suivant les marées. Mais il venait d’Athènes ce type et il connaissait pas le Médoc. Pourtant l’image était belle.
Enfant, j’avais l’âge des possibles. Tout était envisageable et je passais du temps à envisager des solutions, des scenarii, des plans sur les comètes. Avec mon grand-père je tricotai des aventures que nous pourrions entreprendre et vivre. Il m’a fait aimer Jules Verne très tôt et m’expliquait les mots que je ne comprenais pas et que je notais dans un carnet. Ils restaient là quelques temps et lorsqu’une page était pleine je prenais rendez vous pour des explications. Ses histoires devenaient nôtres et les âges n’existaient plus au centre de la terre ou sur le Nautilus. Verne était mort mais si présent. Mon grand père traînait sa canne mais ne lâchait pas ses mots au vent du temps qui passait et je me remplissais les oreilles. Nous voguions sur des mers d’égalités, vivants ou déjà partis sans autre matériau que des mots et les images qu’ils amenaient.
Parfois nous allions regarder le mascaret, cette vague qui remonte le temps du fleuve, qui est vieille comme le monde, sans âge, renaissant aussi à chaque marée, en fonction des coefficients que nous donne la Lune avec son calendrier capricieux et complexe. Le mascaret, enfant de la Lune, coutume magique des estuaires immenses, magie inébranlable et infinie. j’aimais cette approche de la philosophie que mon grand père avait sous la main et au coin des yeux. Sa malice décuplait lorsque des mots s’entrechoquaient. Un samedi pluvieux où je regardais des âneries à à la télévision je riais fort avec mon voisin Jules et transformant le canapé en ring de catch. Ma grand mère me toisa , moi la plus grande des deux trublions et me cria dessus : « tu vas arrêter de faire l’enfant ! ce n’est pas possible à ton âge! Mais quand vas tu grandir enfin ! »
« Faudrait savoir , ou grande ou petite, ou enfant ou adulte ?  » marmonna mon grand père qui continua  » Tu vas arrêter de faire ton âge pas possible ! quand vas tu grandir et faire un enfant?  »
Ma grand mère a failli mourir ce jour là, rouge et vexée, autant par la révolte cinglante de son mari si discret et soumis depuis toujours, que par les remarques mitraillées dans ce déplacement des mots dans ses propres phrases. Elle se tourna vers moi pour me reprocher la mauvaise influence que j’avais sur mon grand-père avec mes « jeux de mots qui ne veulent rien dire, qui ne sont pas digne d’une grande personnes qui fait ainsi l’enfant et lui fait perdre son temps ».
Mon grand père lui répondit seulement : « Tu n’aimes pas les mots ni la conversation parce que tu ne sais toujours pas malgré ton âge que le langage c’est comme les fleurs d’un bouquet. Plus tu mélanges les fleurs, plus le bouquet a des allures et de belles associations. Tu ne peux pas comprendre, tu n’as jamais eu l’âge ni le temps d’être un enfant ».
Ma grand mère est sortie et le soir m’a fait un compotier de merveilles, ces petits beignets gras et sucrés à la fleur d’oranger. Une merveille de pardon.

Depuis j’ai pris le temps de prendre de l’âge et eu trois enfants. Je suis devenue traductrice et interprète, je vis avec un éditeur linguiste de formation.
Nos enfants aiment bien les mots, les gros et les petits, les mots doux et ceux qu’on prend le temps de se dire et d’apprendre, à tout âge.

 

Reçu ce texte d’une jeune femme qui écrit un peu au sujet de sa propre image,
la semaine des obsèques de ma mère. mars 2019

« Blessée, meurtrie et rattrapée à chaque fois par mon passé. Pourquoi la vie n’est pas simple et paisible avec moi ? Je mérite d’être dans une perpétuelle insécurité toute ma vie ?
« Tu es une fille agréable A, tu es drôle et attachante, ce n’est pas contre toi, je ne suis pas capable de répondre à tes attentes C, tu presses les choses, je ne veux pas me prendre la tête. » Je vomis ces putains de phrases. Je vous crache à la figure ces phrases indigestes et dénuées de tout sens.
C’est toujours le même refrain. Je suis fatiguée, nerveusement et émotionnellement. Je donne, je donne beaucoup, je donne beaucoup trop, je donne beaucoup trop à m’oublier. Il faut que tout ça s’arrête. Je donne mais je n’accepte pas de recevoir et je ne m’affirme, jamais. Je m’écrase par peur d’être lâchée, mise de côté, abandonnée.
J’ai tellement peur d’être seule. J’ai l’intense frayeur de me retrouver face à moi-même, juste moi et personne d’autre. Je ne supporte pas l’idée de me suffire. Je ne m’aime pas. Comment être heureuse quand on vit dans le corps et la tête d’une personne que l’on n’aime pas ? Comment se satisfaire de soi ?
Être jetée comme une merde me fait au moins ressentir quelque chose. Mais c’est trop facile de se morfondre sur son sort et de retomber dans le panneau quelques jours plus tard.
J’ai toujours été habitué à subir, à être soumise aux exigences de l’autre sans aucun dialogue possible et donc accepter ce qui se passait pour moi telle une fatalité. Comme si je méritais de vivre ça. Je n’ai pas été entendue, écouté et comprise. Parce que personne autour de moi n’avait la capacité pour recevoir ma douleur profonde sans pouvoir tomber dans les méandres de la tristesse que cela pouvait promulguer. Alors je me suis tue, j’ai ravalé ma douleur. On m’a forcé à avaler, à me nourrir de cette douleur sans jamais pouvoir la digérer ni l’exprimer. Une oie est gavée pour grossir, j’ai été gavée pour me détruire.
Cette destruction sans fin est telle qu’une épine que l’on ne peut enlever, qui a répandu un venin impalpable parce que trop vite dispersé dans mon sang, d’une puissance infinie, ne cessant de se déployer dans mon corps. Ce venin transporte une énorme dose de culpabilité et une énorme dose de colère.
La culpabilité de vivre : oh pardon, j’existe, pardon, je peux respirer ? Ça ne vous dérange pas ? Je ne serai pas là longtemps de toute manière, je vais aller plus loin pour ne prendre la place de quelqu’un, je suis désolée.
Déranger, s’excuser, subir, se soumettre, se taire, se faire toute petite (disparaître?).
Pourquoi serais-je écouter puisque je ne suis pas considérée ? Pourquoi prendrais-je soin de moi si personne ne le remarque ? Pourquoi me valoriserais-je si on ne me laisse pas m’exprimer ?
Être écoutée et entendue, prendre soin de moi et me trouver belle, me valoriser et être fière de la personne que je suis, telle que je suis sans que quelqu’un d’autre ne le fasse pour moi. »

 

Qu’est-ce un tru-truc ? Enfin une réponse complète . Nous en avons débusqué sur les blochaus du mur de l’atlantique avec ma mère, pendant des années

Un tru-truc est une chose protéiforme qui ne peut pas toujours s’anticiper, et qui souvent se diddipe* et amuse les gens, voire les interloque ! créer un tru-truc avec des images, du son, des mots qui bougent, c’est une bonne idée. On pourrait faire aussi une série genre Martine à la plage, ou Denis trempe chez les vieux mais c’est du recuit. Il nous faut trouver en déconnant un maximum une idée sérieuse et applicable à notre distance d’entrevues. Création volatil, essai définitif sur la canard aux olives, art et caresses de l’intérieur supérieur de l’aine, cuisson du filet mignon de cochon à l’armagnac avec  pommes et châtaignes, compilation des fausses notes dans les chansons des Femmouzes T que j’aime beaucoup malgré tout, encyclopédie des excuses des hommes pour ne pas faire quelque chose qui urge et que leur compagne fera avant eux, exaspérée de l’attente vaine, poème d’amour définitif qui ringardisera tous les précédents de l’Histoire, histoire sans queue ni tête pour amants acrobates ayant le sens de l’amour discourtois mais bien bon, etc…

Je m’égare de l’Est, je me disperse comme disait Darius, je me fais chier comme pensait JSB en écoutant certaines de ses œuvres pour orgue massacrées par un curaillon fétide en mal de sensations d’éternité pour oublier sa chasteté répugnante et douloureuse.

Putaing ! je fais une crise subite de Desprogite aigue, la plus dangereuse forme de ce mal incurable.
(parenthèse)
Pour me guérir je vais aller au cinéma ce soir voir le film d’OZON sur les barbarinades pédophiles camouflées du diocèse de Lyon. Par chance le pape ne l’a pas mis à l’index….cela lui aurait troué le cul !
J’aime pas les curaillons depuis tout petit déjà lorsque je faisais du théâtre à l’église déguisé en enfant de chœur. Depuis longtemps c’était les enfants de cul ! Mais moi j’étais bon au foot alors on me foutait la paix dans ce patronage catho qui enrôlait les gamins pour servir les messes, sinon « on n’était pas sur la feuille de match » le dimanche. J’étais spécialisé  dans les mariages et enterrements et je lisais à la tribune les épîtres et autres textes autorisés lors des grosses messes, pleines de punaises de sacristies en voilettes et mantilles. Au premier rang il y  avait aussi les filles de la paroisse et je prenais grand plaisir à les observer me regarder quand je lisais, assez bien je crois, les textes imposés. Le curé n’aimait pas trop mon assurance et mon dédain évident pour la foi et sa transmission mais j’étais un bon gardien de but, denrée assez rare à l’époque chez les 10 – 13 ans et je faisais de bonnes transmissions…aux avants, avec précision et puissance. Je tirais aussi les penalty avec un taux d’échec très faible, ce qui me valait d’être remplacé en cours de matche dans les buts pour 5 minutes pour aller marquer directement coup- francs et penalty. Ensuite je retournai dans mes « cages »…. (fin de la ())
Bref une carrière de mystique s’offrait à moi, et je l’ai raté. J’aurais pu être peut-être archiprêtre, le mot me plaisait et je n’aurais pas versé dans la pédophilie du tout, me consacrant sans doute avec assiduité à mes paroissiennes majeures.
Bref je me rend compte que j’ai raté ma vie et à présent, aigri par l’âge je me repent. Enfin façon de parler car je n’ai jamais eu envie de me pendre et donc de me rependre, pardon de me repentir.
Si Dieu existe, j’espère pour lui qu’il a de bonnes excuses !
Je m’égare de Lyon, encore une fois.
Le soleil sans doute. Ou le grand âge pardi !

* mot inventé aux sens ouverts. Du verbe diddiper*1° groupe qui veut dire ce que l’on veut. En ce sens il est très pratique à utiliser, combiné avec des adverbes et adjectifs, des substantifs qui sont aisé à décliner à partir de cette racine d’origine semblerait-il serbocroate du sud, selon le distingué linguiste alcoolique et saussurien, néanmoins canadien, Onésime Machebois.

Musiques des liens
nous avions discuté il y a des mois, ma mère et moi des liens, des attaches, des trombones rajoutait-elle en faisant le jeu de mot et de pont avec les musiques…

Lier relier attacher souder emboîter ajuster coller fixer ficeler étreindre enrubanner ligoter assurer encorder ancrer accommoder river agripper coudre et assembler
La liste est longue des mots liens. Les mots chiens qui courent en tous sens sans forcément aboyer mais qui nous attirent nous retirent et nous soutirent sens et essences, vins fins de nos vanités ou de nos triomphes.
J’aime les chariots à roues carrées qui brinquebalent avec un bruit pénible. Il sont une prouesse du non sens et des errements des nos progrès humains.
Ils échappent à leur raison d’être et bruitent d’un rythme maîtrisable et insidieux les grands halls des centre commerciaux ou des aérogares. Si j’accélère si je varie mon pas le bruit change et se module. Parfois je m’amuse à le caler sur les mouvement sonore de la personne qui me précède. Un jeu. Comme un tape du pied dans un gravier égaré sur le goudron léché d’une promenade de station balnéaire. Parfois plusieurs sons peuvent s’accorder ainsi mine de rien. L’autre jour un enfant qui tirait sa valise à roulette a bien perçu l’orchestration possible et a fait couiner les roulettes en agitant son bagage d’avant en arrière depuis son banc. Sa mère sans doute peu mélomane lui expédia un bourrade pour qu’il cessât aussitôt. Nous avions commencé un dialogue de crissements et de batterie des plus intéressants.
Écrire des histoires expose aussi à rentrer dans les prosodies invisibles du quotidien au travers des bruits, des paroles répétées sur une gamme variée de tons et d’intensités. Une gare toujours, et au téléphone une femme qui répète dix ou douze fois au téléphone, parlant assez fort pour que le correspondant distant de cent kilomètres puisse entendre en direct « tout à fait c’est toi qui le dit ».
Cette phrase haletée, martelée, assénée, grondée, rappée, crépitait dans les airs. J’attendais la reprise de la contrebasse après ce solo vigoureux et varié. En vain.
Écrire des histoires n’éloigne jamais de la musique. C’est une ligne floue et claire qui remue sans cesse : les silences des descriptions de chambres qui dorment, le reggae d’amants qui se caressent, le scat des bavards, la chaloupe du flamenco et de leurs amateurs.
La musique elle-même se charge d’histoires collées à elle par des millions de souvenirs, de rencontres de plaisirs et de drames. Noires pointées, blanches repues et croches coquines.
Raconter des histoires est une manière de rentrer dans la vie d’autrui, de se glisser entre les lignes de vie du lecteur, avec des fléchettes chamarrées et à sens multiples. Je n’aime pas les records, ni les réussites assurées. Chaque épisode est imparfait, comme toutes les histoires d’amour, de pluie, des villes et des champs. C’est un drame d’être gentil et consensuel au point d’être invisible sur les panneaux de papier peint. C’est difficile d’être grand, très grand, avec un point de vue en plongée sur les détails du monde, détails invisibles et donc inconnus des autres.
Chanter ou jouer de la musique aboutit aussi à des troubles qui simultanément peuvent agiter ceux qui chantent et jouent et les auditeurs. Moments délicats et féroces, à bas bruit. Au théâtre il est possible de rire. Pas toujours au concert. Dans les histoires l’auteur a disparu derrière la couverture du livre.

Improviser avec des mots est une astuce et une liberté sous surveillance étroite. Si l’auditeur a de surcroît pu exiger de glisser quelques mots précis, le jeu devient complexe. Mais ravissant. Il y a le jeu de l’écriture des mots dans l’histoire écrite sur le champ et aussi le cadre du champ lui-même, où le lecteur voit la friandise se faire, comme le plat dans un restaurant asiatique où la gestuelle du cuisinier au dessus de sa plaque fumante fait partie du goût du plat dégusté.

Il y a des choix, il y a des matins et des couchers du jour bavards comme ces pies qui gambadent dans l’herbe en cherchant vivement la nouveauté d’une friandise au ras du sol.
Il y a des rencontres et des pertes, des possibles tricotés et défaits en quelques minutes, des liens serrés qui ne se défont plus, des ratés et des sourires méprisants :  il y a de tous entre les mots écrits, dits et lus. Des plages découvertes et reprises par les flots à chaque mouvement de la lune.
La musique revient comme une valse souple,si le rythme des vagues attire les danseurs, le tango n’est pas loin, la salsa qui s’invite, et le mélange prend les corps à plein tempo.

Juste avant la fin de la vie de ma mère j’ai relu une de ses contemporaine et un poète qu’elle aimait bien…

« Il n’est pas tragique de ne pas pouvoir expliquer le monde…Ce qui seulement est tragique, c’est de constater que l’homme se rend malheureux à ce propos »
Francis PONGE
Chercher à décoller une étiquette sur un pot de miel. Le pot est beau, gravé d’alvéoles.
Le ongles s’acharnent ; Le papier n’en finit pas de faire de minuscules rouleaux de pâte collante que le filet d’eau chaude ne fait pas fuir. Colle vicieuse, intention malsaine du fabricant ? J’ai la haine qui monte mais je tiens à ce pot ! Comment dire plus finement ?
Je me regarde regarder ce pot de verre sans valeur marchande, au seuil de la poubelle ou de l’exploit si je trouve le produit qui dissoudra les traces sur l’arrondi granuleux et parfait qui se défend de mes grattages.
Cela semble simple comme un morceau de Chuck Berry, où le rock semble évident et agite nos croupions insensiblement sur une base mélodique d’une simplicité rare. Quatre cinq accords maximum.
Et pourtant, comme l’étiquette, le détail tue. J’écoute le même tube chanté par un autre musicien, deux puis cinq : Johnny be Good ne rebondit pas, mon cul reste immobile.
Une fraction infime de seconde manque ou se rajoute. Les notes sont toutes jouées, le métronome contrôle les cadences, rien n’y fait : nous sommes dimanche et le vieux rocker est toujours vivant,
Étrange d’écrire à son sujet alors que j’étais parti sur Ponge et des écrits définitifs à propos des pots de miel à recycler.
Car je recycle, pour aller au ciel et être un bon crétin qui se plie à la mode du temps. Se regarder avant dans ses comportements ordinaires individuels … In Pittsburg PA…all the cats wanna dancing….au lieu de savoir qu’une seule usine de la firme machin chose pollue plus qu’une ville de trois millions d’individus…Frisco bay …sweet little sixteen.
Je gratte donc mon pot de miel vide pour le remplir à nouveau. Je ferai vingts kilomètres pour acheter un très gros pot et le soutirer dans de petits pots analogues.
Cela frise la bonne action. Comme d’aller à la déchetterie pour trente kilos de saloperies à virer multipliées par des centaines de voitures. « La conscience progresse » disent les organes de propagande du conseil général.
Oh Maybellene, why can’t you be true? You’ve started back doing the things you used to do.
Je me sens en train de tenter d’expliquer l’inexplicable d’un monde qui tourne cubique et cogne à chaque tour d’essieu en faisant un boucan d’enfer. Ponge réveille moi je ne t’ennuierai pas. Promis, le tragique je m’en fous un peu.
Par contre tu pourras m’aider pour enlever les résidus de colle sur le bocal et comprendre pourquoi Chuck Berry est inimitable malgré la qualité des interprètes qui tentent de l’imiter.
La musique est pas terrible, la voix mal enregistrée, le piano un peu faux, la guitare juste ce qu’il faut en retard, et jamais de la même manière. Chuck Berry est chez lui entre les syncopes et les reprises de refrain par une batterie et un piano en décalage aussi savant qu’instinctif.
Caroll est un exemple de plus. Voix et guitare légèrement électrifiée se répondent dans une intimité relative.
Les solos sont calés pour décider de tout. Cela semble partir dans les coins comme après des tournées de bières et de vin dans les répétitions ou les concerts trop longs où les vapeurs de cigarettes et d’alcool dansent ensemble.
Les mots de Ponge sont simples, ceux de Freud, de Gogol aussi, Kundera n’invente pas les mots qu’il tricote. Ces gens là n’ont pas eu de problèmes de conscience à propos des étiquettes de pots de miel et de la déception d’entendre de bons musiciens tenter de refaire ce que Chuck Berry faisait comme on respire.
Charlotte Delbo parle évoque témoigne de sa survie à travers le cauchemar de le déportation. Birkenhau Auschwitz Ravensbrück etc., De son retour impensable aussi, si difficile à survivre.
Je pense qu’elle aurait senti l’importance de sauvegarder un petit trésor de verre gravé comme un négatif de ruche. Elle décrit et représente en quelques ouvrages le détail interne de la saloperie absolue des camps, de la déportation, des lâchetés et des merveilles humaines aussi. Elle ne semble jamais se plaindre, ne cherchant pas à expliquer le monde, les mondes mais se concentrant pour survivre, avec les siens, les siennes qui étaient devenus sa famille, sa vie de survie, dans le froid et le dénuement, la faim et la crasse, la violence, la mort qui rôde, vite familière.
Mon propos décousu sauterait de l’âne au coq en passant par la limace. Peut-être pas. Les goûts du vertige aident à sauter dans le vide, de se frotter aux gouffres, sans mourir, juste pour dire non et désobéir à la marche du temps, contourner les cactus.
Écouter Chuck Berry et sentir ces vibrations, ces retenues parfois et cette vie glissée partout me rapproche aussi de ces récits terribles de vies extrêmes de Charlotte Delbo. Son nom même me rapproche de la moitié de ma famille maternelle. Le souci de sauver mon pot de miel de la benne à verre est d’une puérilité définitive, étant à la fois un point d’ancrage valide dans les flous qui nous entourent souvent.
Retour à Ponge
« A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie. » Francis Ponge : Le Parti pris des choses, 1942
Écrire est peut-être simplement une manière de respirer, après avoir retenu son souffle face aux suspenses de la vie.

Lire sans hésiter textes récits et poèmes
C. Delbo« Aucun de nous ne reviendra » Auschwitz et après II III « Une connaissance inutile » suivi de « Mesure de nos jours » collection « double » éditions de Minuit, entre autres livres qu’elle publia à partir de 1961. Elle a quitté la vie en 1985.
«  Alors vous saurez qu’il ne faut pas parler avec la mort c’est une connaissance inutile »

 

Texte prononcé aux obsèques de ma mère
Maman,
Tu as toujours fait le choix des mots et des images, mais aussi celui de l’affirmation
des principes d’un humanisme exigeant, excluant la niaiserie, au delà des humeurs
passagères, des modes.
Papa te taquinait en te reprochant d’avoir un « côté Cadaujac » un gène particulier
que Bobo et Mèrotte s’étaient transmises.
Cette campagne si ancienne, foulée par les humains depuis le néolithique, les ports
gaulois puis romains que tu me faisais surgir de la vase à marée basse, en
mélangeant les odeurs, tes lectures de gamine sur le ponton des carrelets, le
mascaret que nous avons si souvent attendu en mangeant des poissons frits avec des
vins frais.
Depuis la mort de papa et presque chaque semaine, nous avons ainsi arpenté des années tes
souvenirs, tes connaissances sur l’histoire des batailles navales au pied du château de
Langoiran, découvert ou retrouvé des endroits cachés que tu retrouvais en vélo,
adolescente, depuis Cadaujac. Portets, les esteys…
Tu assemblais les paysages et les gens, les musiques et les chansons, les histoires et
les personnages, tout au long de ces pérégrinations entre la limite de la Dordogne, la
Garonne, l’estuaire, ainsi que les landes, le Ciron, les Leyre, la Nive, l’Adour, le pays
basque. De Soulac à Bergerac, Libourne à Biarritz, de Talmont à Villandraut nous
avons refait pendant des années ces itinéraires restés intacts dans ta mémoire. Nous
avons retrouvé des lieux et des maisons, parfois des gens. Nous partions à l’abordage
disais tu.
J’ai ainsi reçu une formation intensive sur cette partie de la Gaule, sur le Moyen âge
et la Renaissance, les deux grandes guerres, l’occupation, le sud ouest de la France.
L’autoradio était un peu en panne dans ta voiture, mais il n’était pas nécessaire. Nous
avons regardé, évoqué, ri, vécu des émotions, associés au fil de ces milliers de
kilomètres, prenant le temps, improvisant sans cesse, mangé délicieusement très
souvent, dormant parfois en route, prenant le temps.
Avec toi dans cette dernière partie de ton existence, nous avons souvent été
dans l’intimité d’ombres qui pénétraient la vie, nos vies respectives et leur donnaient
une résonance inconnue.
Tu me regardais parfois sans rien dire, lorsque nous attendions le mascaret sur la
Dordogne au bord de l’eau en dégustant un vin délicat. Sans un mot, mais les yeux
dans les yeux, comme si chacun de nous avait voulu graver son empreinte dans le
visage de l’autre.
Tu finissais par rompre le silence pour évoquer une image d’un paradis descendu si
près de la terre, avec ce soleil d’or repeignant la Dordogne, si proche que nous nous
tenions entre les deux, respirant nos verres en attendant la vague. Nous cherchions
des motifs rationnels de croire à l’absurde et la nature alentours nous brouillait les
pistes.
Ces moments tu les aimais, tu en reparlais, les reliant à tes voyages, tes lectures,
ton passé, tes émotions.
Tu avais encore, avant ton accident bénin mais invalidant, qui te fit quitter la maison
où tu vivais de manière assez autonome, une activité sociale et une capacité intacte à
penser, à réfléchir, à protester, à t’indigner.
Tu ne supportais de personne la tromperie, le mensonge, la dissimulation et je t’ai
vue avec surprise te mettre parfois dans des colères froides assez redoutables. Dans
le même temps tu accueillais, avec bienveillance et simplicité quiconque sonnait à ta
porte, sans formalisme ni méfiances. Bien entendu tu préférais les relations avec les
gens capables d’empathie, de se mettre un peu dans la peau de l’autre, afin d’ajuster
présences, demandes, temps de visite… Mais polie tu n’en laissais rien paraître.
Tu relisais et sabrais avec assurance mes manuscrits, et nos voyages étaient parfois
des séances de réécriture de passages, des bagarres sur la forme d’une phrase…
Mais tu aimais aussi l’hiver et l’océan, lorsque des vagues luisantes et ébouriffées
escaladent les falaises ou les rochers de Biarritz, de St Jean de Luz, de Royan, quand
la force conjuguée des marées, du vent et des crues inondent tout après avoir
ébranlé la voilure des arbres. Nous marchions couverts de plastique sur des corniches
désertées, pour entendre cet argot sauvage de l’océan qui fait la fête à sa manière.
Puis nous allions dîner pour oublier notre limite de petits humains, vanités sur deux
jambes. Prenant le temps. « Je te regarde aller » me disais tu lorsque je repartais.
La mort nous en parlions souvent, comme d’une entrée dans le tain d’un miroir,
comme nous passons la vie à le faire pour éviter mesquineries, maladies, bassesses y
compris les nôtres.
Tu me disais souvent que le miroir est le lieu de conservation de nos souvenirs, de
nos amis, de nos expériences, rafraîchis en permanence par la présence de la mort,
son possible incertain et inévitable, et de l’étrange chose qu’est le temps que nous
méditons sans cesse.
J’aurais aimé tout noter, enregistrer mais tu ne voulais pas. « Tu retrouveras bien des
mots, les tiens, lorsque je t’aurai débarrassé le plancher et que tu auras enfin du
temps ». J’avais pu noter en douce cette réponse.
Tu as beaucoup souffert de n’avoir pu réunir tes enfants comme tu l’aurais souhaité
et quand tu le pouvais encore.
Les silences de la fuite n’étaient pas dans ton registre. La maladie et l’âge t’ont contredite.
Tu me parlais parfois de cette difficulté, émue par cet impossible.
Cette dernière année a été une lente descente, une perte de tous repères et tu as
attendu le mascaret, seule cette fois.
Il est passé et toi avec. Prenant le temps. « Je te regarde aller »
Tu aimais bien ces paradoxes :
vivre la mort au sens de ressentir son passage et ses irruptions, couvrir avec des
mots les émotions, les absences, les tristesses, non pour les cacher mais pour les
faire vivre et ne pas oublier, ne pas effacer ou nier, ne pas enterrer les souvenirs et
les tristesses car comme disait mon ami écrivain bordelais Jean BROUSTRA :
« Être oublié, nié, effacé de la mémoire émue des vivants, ce serait mourir de la mort d’un
chien ».
DRP

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